segunda-feira, 13 de julho de 2009

« Le plus triste, c’est de se souvenir des gestes de demain. »

RUINAS
de Manuel Mozos

C’est sans doute très personnel, mais une voix prononce dans le film de Manuel Mozos la plus belle phrase du festival : « Le plus triste, c’est de se souvenir des gestes de demain. » C’est important, les phrases, dans un festival. Les phrases qui percent la rumeur fatigante des commentaires, des opinions, des avis, les nôtres et ceux des autres - le fond de fatigue qui freine et nourrit nos élans. « La fatigue est généreuse » : autre phrase arrachée, par Pierre Creton à Blanchot dans Maniquerville, échangée entre deux femmes dans un lit blanc. La fatigue fait le tri, donne le temps. La fatigue et les phrases vont ensemble, elles aident à vivre.

Rencontrer une vraie phrase, ça réveille et ça repose du trop plein de films, du trop de fausses rencontres. Il y eut beaucoup de phrases, hier soir, lors de la vraie rencontre avec Jean-Pierre Gorin. Devant un public nombreux, JPG « did his dance » – il est beau, dans un festival de cinéma, de voir tant de spectateurs dans une salle, non pour consommer un film de plus ou de moins, mais pour voir et entendre un homme penser et parler devant l’écran blanc. La fatigue était généreuse hier soir pour JPG et son auditoire : il est allé tout droit, à l’essentiel de son travail, de ce que le cinéma devrait toujours être et faire – une machine à diviser. « Faire des films à partir de leur faiblesse ».

Avant d’écouter Jaypee, nous avons vu Ruinas, le film de Manuel Mozos. Merveilleux acteur (sa fatigue aristocratique et mélancolique dans La Gueule que tu mérites de Miguel Gomes), monteur et cinéaste, membre d’un groupe d’amis qui font aujourd’hui, avec celui de Pedro Costa, le meilleur cinéma du Portugal : la bande de O som et a furia.

Le cinéma aime la ruine, les Portugais la mélancolie – deux clichés qui ne font pas une phrase. Mais loin de se complaire dans la contemplation des ruines et la complaisance de leur beauté, Mozos invente un pays, un Portugal fantastique. Le geste est politique dans un pays hanté par l’échec d’une révolution. Un pays dont les gouvernants, de droite ou de gauche, se ruent avec une terrifiante bêtise aux avants-postes du nihilisme européen. Liquidation générale des héritages ou pétrification muséale : c’est la même chose, et c’est « la force révolutionnaire du passé » qu’il s’agit d’étouffer, ainsi que la capacité du présent à la recevoir. Alors repartir des ruines, les hanter, les faire parler, raconter des histoires, c’est inventer un autre Portugal contre la destruction d’un pays.

Ruinas construit un catalogue de lieux plus ou moins désolés – hôtels, restaurants, simples maisons ou mines à ciel ouvert – filmés en quelques plans aux cadrages et à la lumière splendides, ouvrant l’espace à la circulation des phrases. Off, des voix se succèdent pour faire entendre une série de textes, qui oscillent entre le légendaire et le prosaïque : récits de passion et de dévotion, menus de restaurant, correspondances entre directeurs d’hôtels et clients. Ca va vite, chaque lieu appelle le suivant, chaque texte pousse le prochain, et cette vitesse est nécessaire pour animer les ruines, pour contrer leur charge mélancolique. Le travail de Mozos, si différent de celui de Costa, vient de la même nécessité : dans les marges de la catastrophe, chercher dans l’ombre, dans les marges, du côté des fantômes, l’énergie de rester debout dans un pays habitable.

Antoine Thirion, Independencia

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